13 mai 2005

La valeur juridique de la Charte des droits fondamentaux

La valeur juridique de la Charte des droits fondamentaux

De la valeur juridique de la Charte des droits fondamentaux
Par Guy Carcassonne, professeur de droit public à Paris X


Ce fut un des enjeux majeurs de la Convention. La Charte des droits fondamentaux, rédigée en 2000, l’avait été en vue d’une application effective : non des proclamations qui résonnent comme des coups de cymbales, avec ce qu’ils ont d’éphémères, mais des droits tangibles, moins flamboyants peut-être mais de portée réelle. Umberto Bossi, le leader de la Ligue du Nord italienne, l’a jugée « communiste », « franc-maçonne », « musulmane », tandis que nombre d’autres ne voulaient y voir qu’un texte politique, sans effets juridiques.
Seule la détermination politique de quelques-uns, assurés du soutien actif de centaines d’associations, a fini par l’emporter sur les oppositions britanniques ou néerlandaises, les réticences baltes ou polonaises : la Charte fait partie intégrante de la Constitution, avec la même valeur que tous ses autres articles, et Robert Badinter voit là le plus considérable de tous les progrès qu’elle comporte.

Concrètement, qu’est-ce que cela signifie ?

Cela veut dire, en premier lieu, que son respect s’imposera (article II-111) à tous les organes de l’Union, ainsi qu’à ceux des États-membres lorsqu’ils agissent dans le cadre communautaire (en dehors de celui-ci, c’est leur droit national qui continue de prévaloir).

Si une décision, quel qu’en soit l’auteur, méconnaît n’importe lequel des principes énoncés par la Charte, la juridiction européenne pourra en être saisie (sauf quand la juridiction nationale s’en charge, pour les décisions nationales ou locales).

C’est d’autant plus remarquable que le texte est indivisible. Il n’y a pas, d’un côté, des droits civils et politiques jugés nobles et, de l’autre, des droits économiques, sociaux ou culturels qui le seraient moins : tous sont mis sur le même plan, avec la même protection.

D’une certaine manière, la Charte, grâce aux juridictions européennes, bénéficiera ainsi, à l’égard de l’Union et des États, d’une protection comparable à celle dont jouissent, dans l’ordre français, grâce au Conseil constitutionnel et à l’égard des lois, la déclaration de 1789 et le préambule de 1946.

Mais, en second lieu, la Constitution apporte un autre élément décisif. Selon le 4 de son article III-365, en effet, « toute personne physique ou morale peut former... un recours contre les actes dont elle est le destinataire ou qui la concernent directement et individuellement, ainsi que contre les actes réglementaires qui la concernent directement et qui ne comportent pas de mesures d’exécution. »

Avec cet élargissement du recours ouvert aux particuliers, ce sont désormais tous les actes - lois, lois-cadres, règlements, recommandations, avis, qu’ils émanent du Conseil, de la Commission, du Parlement, de la Banque centrale...- qui pourront être déférés au juge en cas de « violation de la Constitution », donc de la Charte puisqu’elle forme la deuxième partie de celle-ci.

Alors, certes, il se trouve toujours des critiques pour estimer que les droits sont mal libellés ou les juges suspects, rendant tout cela vain. Il s’en trouve d’autres pour prétendre, à l’inverse, que ce mécanisme donne trop de pouvoirs à la juridiction européenne et, à partir de là, pour alimenter toutes sortes de délires absurdes sur la remise en cause du droit au divorce ou à l’avortement, ou de la laïcité.

Rien, jamais, et notamment pas la rationalité, ne peut rassurer ceux qui veulent jouer à se faire peur, ni dissuader ceux qui cherchent à faire peur. Mais pour les autres, tous les autres, la Charte est un progrès substantiel qui tient justement à ce que sa valeur juridique, forte, est clairement établie.

Guy Carcassonne, professeur de droit public à Paris X