Vision portugaise

mardi, 03 mai 2005
Une vision portugaise

Elisa Ferreira
Députée européenne portugaise

(Extrait d'une intervention dans un meeting de la semaine dernière en France.)


OUI à la Constitution européenne


1. Vous vous demanderez, peut-être, qu'est qu'une portugaise fait dans un meeting français sur le référendum français sur la Constitution Européenne.
Je désirais vous apporter trois messages principaux.

2. Mon premier message est peut-être surtout un témoignage : pour nous, les portugais, le projet européen avec ses principes de démocratie, liberté et solidarité est indissociable de la fin de cinquante années de dictature ! C'est parce que l'Europe a ouvert ses portes au Portugal que la démocratie s'est consolidée de façon stable ! Et il est surtout dû aux principes de solidarité et cohésion que le processus de rattrapage social, environnemental et économique de mon pays, encore insuffisamment accompli, c'est vrai, a été possible !

Le projet européen n'est pas seulement un projet économique. Il est peut-être le seul projet mondial où l'économie sert des objectifs politiques clairs de paix, liberté et solidarité. Il a été conçu comme ça, a été perçu comme ça par tous ceux qui avaient vécu des dictatures comme les espagnols, les grecs ou les portugais ; il est interprété comme ça par les dix nouveaux membres ; il est vu comme ça par ceux qui veulent encore nous rejoindre !

Chers amis, il y a bien plus que de l'économie dans ce projet ! Et c'est à nous, les citoyens européens de le faire valoir comme cela et d'en être fiers.

3. Mon deuxième message est un remerciement et un rappel aux Français. Je m'excuse d'être si franche mais il me semble, quelquefois, que la France n'a pas conscience du rôle extraordinaire qu'elle a dans le contexte du projet européen. Pour moi, et pour la plupart des européens, j'en suis sûre, il n'y a pas de projet européen sans la France !
Aujourd'hui il n'y a aucun doute au Portugal sur le "oui" au referendum sur la Constitution. Mais je suis sûre que si la votation française était, par hypothèse, négative (je ne le crois pas), elle contaminerait rapidement soit l'attitude des autres citoyens d'Europe, y compris les portugais, soit le futur du projet européen.
Pour les portugais, la France a été toujours symbolique. Nous, les portugais, remercierons toujours les français de l'accueil que vous avez su dispenser à nos émigrants et réfugiés. Les émigrants sont d'habitude les meilleurs d'une société. La France a su être l'espace de liberté et d'affirmation pour tous ceux qui osaient échapper à la stagnation, la misère, l'oppression politique, la guerre coloniale, l'absence d'avenir... Le débat intellectuel français, la lutte des étudiants, les combats ouvriers, étaient des souffles d'espoir pendant la dictature.
Il faut noter à ce propos, que la grande sortie d'émigrants portugais vers la France a eu lieu, surtout pendant les années soixante ; elle n'a pas été causée, par conséquent, par l'intégration européenne. Au contraire, c'était lorsqu’au Portugal, il n'y avait pas d'espoir pour le futur sous la dictature, que plus d'un million se sont échappés, risquant parfois leur vie. Après l'intégration européenne, quand un futur de progrès est devenu visible, l'émigration a presque disparu ! Il faut réfléchir sur cette expérience collective parce qu'il n'y a de meilleure solution pour l'émigration que d'aider les émigrants à construire un futur chez eux !
Pour tout çà, croyez moi, la France a une valeur très spéciale pour les portugais et, j'en suis sûre, pour beaucoup d'autres peuples d'Europe!

4. Mon troisième message est adressé au centre du sujet que nous discutons aujourd'hui - la Constitution Européenne. Tout ce que j'ai dit avant n'a pas l'intention de limiter la liberté de jugement des français ! Mais l'importance politique de la France exige que les raisons d'être des doutes ou même d'un non théorique soient vraiment claires, je dirais plutôt évidentes ! Or le débat français que tout le monde essaie de comprendre n'a pas réussi jusqu’à maintenant à éclairer quelles sont ces raisons. Bien sûr les Français sont libres de voter comme ils veulent ; ils ne sont pas libres, je crois de bouleverser si fortement le projet européen sans expliquer vraiment ce qui les gêne.

Face aux défis de la globalisation, aux problèmes posés par la pauvreté et l´exclusion au niveau de la planète, les nouveaux pouvoirs de la Chine et de l'Inde, les risques liés au terrorisme mondial, le besoin d’équilibrer la présence dominante et unilatérale des États Unis, la seule stratégie possible est de renforcer la présence mondiale de l'Europe en tant que puissance pas seulement économique mais surtout politique.

En termes internes, est ce que la Constitution amène une perte face à la situation actuelle ? La réponse est "non", bien au contraire ! La chartre des droits fondamentaux est constitutionalisée, le rôle des partenaires sociaux est reconnu, les objectifs de plein emploi, justice sociale, égalité femmes hommes, développement durable, cohésion territoriale, reconnaissance des services publics, etc. ont, pour la première fois, un statut explicite dans le projet européen !

5. Chers amis,
En tant que citoyenne de l'Europe je dois vous dire :
- Que si vous êtes déçus avec vos gouvernants, changez les ! Mais cela n'est pas la faute de la Constitution Européenne !
- Que s'il nous manque plus de cohésion sociale, plus de solidarité, donnez plus de pouvoir aux socialistes aux prochaines élections nationales et européennes ! Mais cela n'est pas la faute de la Constitution Européenne!
- Que votre décision est une décision française mais qui touche les convictions les plus profondes de millions de femmes et hommes qui voient l'Europe comme la grande puissance mondiale de liberté, démocratie et solidarité.

En tant que citoyenne de l'Europe je dois vous dire que votre décision n'est pas une décision sur la France, elle est une décision française sur l'Europe !

VOTEZ OUI !