13 mai 2005

Vision américaine

mardi, 10 mai 2005
Une vision américaine

Vision américaine :


« Pour que le rêve européen triomphe, encore faut-il que les Européens eux-mêmes y croient, à commencer par les Français ! »
par Jeremy Rifkin

Quelle est la différence entre le rêve américain et le rêve européen ?

Le rêve américain est une formule apparue en 1931, mais cette notion est ancienne. Les Américains se sont toujours représentés comme un peuple d’élection sur une terre promise. Le rêve américain est une invitation à des réalisations individuelles - l’image du cow-boy est encore très actuelle dans les esprits américains. Il n’était pas fait pour autre chose que les États-Unis, alors que le rêve européen est le fruit d’une construction inédite dans l’Histoire. Pour la première fois, vingt-cinq États décident d’unir leur destin de manière pacifique. Ce modèle répond mieux aux défis de la mondialisation, avec une société inclusive, l’exigence de droits sociaux ou la génération « Erasmus », cette jeunesse qui peut bouger et se sentir chez elle de Riga à Lisbonne ou d’Athènes à Paris. Le rêve européen est maintenant une référence pour le reste du monde. Shimon Peres, dans les colonnes d’un quotidien économique, invoquait la construction européenne pour l’avenir du Proche-Orient. Les pays du Mercosur regardent aussi du côté de l’Europe pour leur développement économique et politique futur. Idem pour les États africains ou les dragons du sud-est asiatique.

Si vous dites que le rêve européen est un modèle de référence, les Américains se laisseront-ils supplanter ?

D’abord, comme je l’ai dit, le rêve américain n’a jamais été prévu pour s’imposer au reste de la planète. Il était à l’échelle d’un pays. Ensuite, aujourd’hui, moins d’un Américain sur trois croit encore dans le rêve américain. Depuis une quarantaine d’années maintenant, le rêve s’est épuisé. Les inégalités se sont accrues, le taux d’endettement par habitant est énorme, ce qui doit d’ailleurs nuancer la vision que nous avons de la croissance américaine. Aujourd’hui, l’Europe produit plus de richesses que les États-Unis. Mais pour que le rêve européen triomphe, encore faut-il que les Européens eux-mêmes y croient, à commencer par les Français !

Justement, quel est votre regard sur la construction européenne actuelle en général et la Constitution à venir ?

Vous avez une chance historique. Avec ce traité constitutionnel, les Européens auront plus de droits que les Américains. Ma mère, quand elle a lu mon livre, m’a passé un coup de fil pour me dire : « cette Constitution européenne, c’est quelque chose d’inouï. Je croyais que nous avions, nous autres en Amérique, tous les droits et là, j’en découvre de nouveaux que je n’imaginais pas ! » Elle parlait de la Charte des droits fondamentaux. Rendez-vous compte ! Maintenant, ces droits sont écrits et plus aucun État européen ne peut les bafouer. Plus de 450 millions de citoyens pourront les faire valoir ! Pendant longtemps, la France a été un moteur de l’Histoire et un moteur des idées. Si elle disait « non », demain, les autres pays ne pourraient plus lui faire confiance.

(Propos recueillis par Pierre Kanuty)