13 mai 2005

Point de vue d'une personne au chômage

vendredi, 13 mai 2005

Point de vue intéressant d’une personne au chômage qui vote "Oui", vu sur le site "ensemble pour le oui" le 12 mai 2005

Pascale 56 ans, sur la Constitution européenne.

22 avril 2005


« Contrairement à ce qui a été dit sur ce site [ndlr : ensemble pour le "oui"], tous les « actuchômeurs » ne vont pas voter non. J’ai demandé un droit de réponse en première page, c’est-à-dire avec la même visibilité que l’article affirmant le non des « actuchômeurs » : Voici ma réponse. »

Au départ j’avais décidé de voter non, bien décidée à ne pas me faire piéger encore une fois par Chirac, bien décidée à manifester mon refus de la politique de son gouvernement. Petit à petit cependant, j’ai pris conscience que l’enjeu n’était pas un enjeu de politique intérieure mais un enjeu plus large et plus fondamental pour l’avenir.

Yves [ndlr : intervenent sur le site pré-cité] demande à ceux qui veulent exprimer leur oui à la constitution de dire en quoi ce projet va servir les chômeurs. Cette question ne me paraît pas pertinente pour deux raisons :

La première est que l’institution européenne n’aura, pas plus demain qu’elle n’en a aujourd’hui, de pouvoir sur les politiques sociales : celles-ci demeureront de la compétence des états. Il faut noter cependant que le marché commun a permis un développement économique remarquable dans ces dernières décades pour les pays membres des communautés européennes puis de l’Union, des emplois donc. Ce serait être aveugle que de nier les avantages économiques de l’Union, méconnaître l’exemple de l’Irlande, l’Espagne et du Portugal qui ont fait un bond en avant économique formidable depuis leur adhésion, mépriser les pays - et les peuples - nouvellement intégrés comme ceux qui souhaitent adhérer. L’Union européenne a déjà fait la preuve qu’elle apporte enrichissement et développement à ses membres, donc sa capacité à résoudre les problèmes des chômeurs. Reste que les politiques adoptées en ce moment ou celles du futur forgeront une Europe plus ou moins sociale. Ceci ne relève pas du fonctionnement constitutionnel mais des élus. J’y reviendrai plus tard.

La seconde est qu’il nous faut nous garder, nous chômeurs, de subir les conséquences de l’isolement auquel nous sommes condamnés et de nous replier sur nous-mêmes. Dans un autre message je disais qu’il ne fallait pas se tromper d’adversaire, accuser les jeunes ou les vieux de se prendre mutuellement les places, oublier que ceux qui ont le pouvoir économique sont les seuls qui ont défini les règles du marché du travail aujourd’hui, faute d’union des salariés en une vraie force d’opposition. Ceci relève de la même réflexion : ne limitons pas notre horizon. Avant d’être des chômeurs nous sommes des citoyens, le projet constitutionnel sur lequel il nous est demandé aujourd’hui de nous prononcer concerne la construction de l’Europe, l’avenir à long terme.

Je me suis donc penchée sur le projet. J’ai beaucoup écouté la radio - temps libre de chômeuse oblige - j’ai lu la presse, lu le projet, écouté les arguments des uns et des autres.

J’ai compris plusieurs choses. D’une part les mots pour le dire sont incorrects. Il ne s’agit pas d’une constitution mais d’un traité constitutionnel. D’autre part, le projet se découpe en 3 parties : la première concerne le fonctionnement constitutionnel, la seconde la charte des droits sociaux, la troisième intitulée « les politiques et le fonctionnement de l’union » n’est en fait que la réunion des traités existants [ndlr : ajoutons qu'elle rajoute même des aspects positifs tel que la clause sociale générale, cf. sur ce blog].

Au départ, je pensais qu’il fallait lire le projet et le comparer aux traités existants. C’est beaucoup plus simple que cela. Seules la première et la deuxième partie sont réellement neuves et méritent d’être analysées - la troisième partie est déjà appliquée.

Mon propos aujourd’hui n’est pas de vous faire une synthèse comparative. Il en existe de nombreuses fort bien faites. (...) Ce que je vais tenter de faire, c’est vous donner les pistes de réflexion qui m’ont conduites à dire oui.

Un mot de Jacques Delors lu dans Le Monde m’a fait basculer : « Une constitution n’a jamais fait une politique, ce sont les élus qui la font ».

Un retour sur l’histoire m’a aussi fait basculer. La tentation première, en 1929 comme en 1948, après chaque guerre mondiale donc, dans une perspective de paix, a été de construire « Les Etats-Unis d’Europe » de faire une Europe politique. Le « message aux européens » par lequel les représentants des mouvements fédéralistes de 19 pays avaient conclu leur congrès de La Haye (8-10 Mai 1948) a totalement été dénaturé avec la création, le 5 septembre 1949, du Conseil de l’Europe, simple organisation de coopération, démunie de pouvoirs et de réelles perspectives. Tirant la leçon de cette impossibilité de mettre en place une intégration politique, qui heurtait de front les souverainetés nationales, le plan Schuman a donc opté pour refaire démarrer la construction de l’Europe selon une méthode s’inspirant d’un pragmatisme prudent : « L’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble ; elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait. » Ces réalisations concrètes ont été la communauté européenne du charbon et de l’acier, mise en commun des ressource nécessaires à la préparation de la guerre - « par la mise en commun de productions de base et l’institution d’une Haute Autorité nouvelle, dont les décisions lieront la France, l’Allemagne et les pays qui y adhéreront, cette proposition réalisera les premières assises concrètes d’une fédération européenne indispensable à la préservation de la paix (déclaration du 9 mai 1950) », le marché commun, l’euro.

De ces observations je tire les conclusions suivantes :
Tout d’abord, le but des fondateurs de l’Europe est atteint, il y a solidarité de fait, nous venons de vivre 60 ans de paix et la probabilité qu’Allemands et Français s’affrontent à nouveau dans des tranchées est très faible.
Dire que l’Europe ne se soucie que d’économie, c’est ignorer l’histoire. Le processus d’unification économique a été le seul moyen de faire l’Europe. La concurrence libre et non faussée est dans le traité de Rome de 1957, elle ne disparaîtra pas avec un non. Aujourd’hui nous allons enfin vers une Europe politique. Dire non au traité constitutionnel, c’est rester sur une Union Européenne seulement économique.
Ensuite, les changements constitutionnels qui nous sont proposés apportent-ils plus de démocratie, plus de social ? La réponse est oui. Le parlement européen devient co-législateur avec le Conseil, obtient un droit de décision égal à celui du Conseil en matière de budget, élit le Président de la Commission, lui-même élu pour deux ans et demi ce qui assure une stabilité et une crédibilité sur la scène internationale, les parlements nationaux obtiennent un droit d’alerte et d’information directe, création d’un ministère commun des affaires étrangères permettant l’expression d’une parole commune des européens sur la scène internationale, la charte européenne des droits fondamentaux est constitutionalisée, elle contient notamment : le droit de grève, l’information et la consultation des travailleurs, la protection contre les licenciements abusifs, l’accès à l’aide sociale..., reconnaissance du rôle des partenaires sociaux, reconnaissance des services publics. (source : www.ouisocialiste.net)

Certes, tout ce que je souhaite n’est pas là. Mais il s’agit d’un compromis qui nous fait avancer. Le faire évoluer sera difficile à 25, le renégocier avec un non sera encore plus difficile puisque nous nous priverons des avancées qui y sont et que les 7 années de négociation qui ont abouti à ce projet ne seront peut-être pas renouvelées avec des politiques plus à gauche.

Dans un monde de plus en plus mondialisé, l’Europe est une nécessité. Économique et politique. Surtout si nous voulons que le modèle anglo-saxon libéral ne prime pas sur les modèles sociaux nés de la sueur, du sang et des larmes des Européens. A mon avis nous ne devrions plus être en train de construire les Etats-Unis d’Europe mais les Etats-Unis du monde. Ne perdons pas plus de temps. Voilà pourquoi je dirai oui.

Quelques idées reçues à revoir :

Certains se plaignent que le droit au travail inscrit dans la constitution française se transforme en droit à travailler, à rechercher un emploi -ou inversement, je ne sais plus. Avant d’analyser la subtilité sémantique, il serait bon de se re-situer à l’époque où ce droit à été inscrit dans la Constitution Française. Il ne s’agit pas de la garantie par l’État de donner un travail à tous mais bien celle de ne pas empêcher quiconque de travailler, d’avoir un emploi. La France sortait de la guerre et se souvenait des lois infamantes qui refusaient aux juifs le droit de travailler. D’ailleurs, le texte précis du préambule de la constitution de 1948 repris dans la constitution de 1958 est « Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi. Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances. »

D’autres accusent la présence du droit à la propriété dans cette constitution. Voyons un peu de mémoire ! Ce droit est inscrit dans la constitution de 1789, et dans la constitution américaine. C’est un droit fondamental pour lequel nos ancêtres se sont battus, Beaumarchais entre autres. C’est tout ce qui fait la différence entre une société de droit divin fondée sur la Providence qui distribue à chacun son rôle et ses propriétés - propriétés aliénables à merci par le roi et les aristos - et notre société moderne où l’homme, et non plus Dieu et le roi, définit l’organisation de la société.

Enfin et toujours, la concurrence libre et non faussée. Allez donc en parler aux pays du tiers monde qui se battent pour que les subventions agricoles américaines et européennes cessent de couler leur agriculture, de condamner les africains à manger nos carcasses de poulet plutôt que leur propres poulets ! Eux en rêvent, de la concurrence libre et non faussée. Là aussi il faut se défier des raccourcis. C’est par nos actes que nous donnons leur sens aux mots. Tout chômeur aujourd’hui admettra que le travail rend libre, pourtant le sens de ces mots n’est plus le même quand il est inscrit au fronton d’un camp d’extermination nazi.

Droit à la propriété, droit au travail, droit au logement, concurrence libre et non faussée, tout dépend de la façon dont les élus mettent en œuvre les politiques pour l’appliquer. Il nous reste un droit : celui de voter. Ne nous trompons pas de combat, ne nous trompons pas d’adversaire. Certains me disent que nous avons peut-être eu 60 ans de paix entre les nations, mais que c’est une véritable guerre civile entre riches et pauvres qui est en train en Europe. Rien de neuf, on l’avait seulement oublié la lutte des classes. D’abord calmons-nous : les affrontements des beurs de la Seine Saint Denis avec les lycéens n’ont rien à voir avec les charges de l’armée sur les paysans ou ouvriers en grève du début du siècle ou les affrontements de l’extrême droite contre la gauche dans les années 30. Ensuite, pourquoi renier l’Europe pour revenir aux nations ? Pour retrouver le désarroi de ces membres de l’Internationale qui se battaient dans les tranchées contre leurs camarades travailleurs ?

Tant que l’homme sera homme, il y en aura toujours pour vouloir plus, pour vouloir tout au dépend des autres. Le seul moyen d’y remédier, c’est d’unir les faibles pour affaiblir les forts. Un des grands désastres de ce début de siècle est la désunion de ceux qui travaillent, fruit de la disparition de la classe ouvrière, fruit de l’urbanisation, fruit du confort apporté par les luttes sociales de nos prédécesseurs qui avaient été victimes de la barbarie créée par les fractures sociales. "