16 mai 2005

Le mensonge de la révision impossible...

Le traité constitutionnel serait "quasi impossible à modifier" selon certains et donc son contenu serait "gravé dans le marbre". Vérifions les textes.

Voici la procédure pour les traités existants et pour le texte proposé:

Pour info, le terme "consultation" dans les lignes suivantes comme dans les traités correspond à une sollicitation d'avis, sans engagement ou obligation de tenir compte de l'avis obtenu.

A) Traité sur l'Union Européenne actuellement en vigueur (suite au Traité de Nice) - Art 48
1. proposition de gouvernement national ou Commission au Conseil
2. décision du Conseil (consultation du Parlement Européen et éventuellement de la Commission)
3. si OK, conférence inter-gouvernementale (consultation éventuelle de la BCE)
4. si OK, ratification par les Etats

Les étapes 3 et 4 sont décidées à l'unanimité.

En pratique, pour les 2 dernières évolutions, une Convention rassemblant des représentants des gouvernements, des parlements nationaux, du PE et de la Commission a été convoquée entre l'étape 2 et l'étape 3. Décision par consensus.

B1) Traité constitutionnel - Art IV-443 - procédure normale
1. proposition de gouvernement national, Commission ou PE au Conseil qui transmet au Conseil Européen
2. décision du Conseil Européen (consultation du PE et de la Commission, éventuellement de la BCE)
3. si OK, Convention décidant par consensus, sauf si "l'ampleur des modifications ne le justifie pas" auquel cas on passe directement à l'étape 4 (décision du Conseil Européen)
4. si OK, conférence inter-gouvernementale
5. si OK, ratification par les Etats

---> c'est le même processus qu'actuellement, mais le PE peut faire des propositions d'évolution et la Convention est officialisée.
Ce n'est pas plus compliqué qu'aujourd'hui.

B2) Traité constitutionnel - Art IV-444 - procédure simplifiée n°1
S'applique aux procédures de vote de la partie III. Pour un domaine ou un cas d'action donné, permet:
a. de remplacer le vote à l'unanimité du Conseil par un vote à la majorité qualifiée
b. ou de remplacer la procédure législative spéciale (Conseil seul) par la procédure législative ordinaire (co-décision Conseil + PE)

1. proposition de décision du Conseil Européen (unanimité)
2. vote du PE (majorité simple)
3. si pas d'opposition des parlements nationaux sous 6 mois, décision adoptée

---> processus beaucoup plus rapide et simple qu'actuellement. Ca suppose bien sûr l'unanimité, puisque c'est un abandon de souveraineté supplémentaire des Etats.

B3) Traité constitutionnel - Art IV-445 - procédure simplifiée n°2
S'applique aux politiques et actions internes de l'Union (partie III titre III). Permet de modifier le texte sans ajouter des domaines de compétence.
1. décision du Conseil Européen (unanimité) (consultation du PE et de la Commission et éventuellement de la BCE)
2. ratification par les Etats

---> cette procédure permet de modifier par exemple les politiques économiques, budgétaires ou monétaires, dont les objectifs de la BCE. Et ça peut se faire beaucoup plus simplement et rapidement qu'aujourd'hui.

CONCLUSION:
- Le traité constitutionnel peut être modifié par 3 procédures au lieu d'1 seule.
- Ces procédures ne sont pas plus compliquées qu'aujourd'hui.
- Ceci peut se faire plus facilement qu'aujourd'hui pour les politiques internes et les procédures de vote.
- Avec le traité constitutionnel, le Parlement Européen peut proposer une évolution du traité, pas aujoud'hui.
Le processus de révision n'est donc pas la machine à gaz décrite par certains.

Note: certains partisans du non constestent la révision par l'unanimité des Etats. Dans l'état actuel de l'intégration européenne, ça peut sembler toujours nécessaire. Pour construire l'Europe politique, donc démocratiser les institutions et accepter des abandons de souveraineté supplémentaires, il faut l'accord de chaque Etat.

Cf. forum sur la Constitution européenne, "François" (16.05.2005).

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En tout état de cause, certains partisans du "Non" tentent de montrer, en vain, que le traité pour une Constitution européenne sera scellé dans le marbre, qu’il ne pourra pas être révisé.

Il me semble que cette argumentation est simpliste, dans la mesure où elle fait l’impasse sur la réalité politique de la construction européenne.

Qu’observe-t-on dans ce domaine ?

- D’une part, le principe de l’unanimité a prévalu, depuis les origines de la construction européenne, à chaque fois qu’il s’est agi de réviser un traité.

- D’autre part, les Communautés européennes, puis l’Union européenne s’est sans cesse élargie, passant de 6 membres en 1957 à 25 membres aujourd’hui.

A la croisée de ces deux chemins, l’Histoire européenne montre que plus les États membres ont été nombreux, plus les révisions des traités ont été fréquentes.
Ainsi les révisions se concentrent-elles pour la plupart au cours de ces dernières années, alors même que l’Europe comptait de plus en plus de membres :

- 1957 Traité de Rome – Europe à 6
- 1973 Traité d'adhésion – Europe à 9
- 1981 Traité d'adhésion - Europe à 10
- 1986 Acte Unique – Europe à 12
- 1992 Traité de Maastricht - Europe à 12
- 1995 Traité d'adhésion – Europe à 15
- 1997 Traité d'Amsterdam - Europe à 15
- 2000 Traité de Nice – Europe à 15
- 2004 Traité d'adhésion - Europe à 25
- 2006 Constitution européenne ? - Europe à 25

L’élargissement de l’Union européenne n’est donc pas un obstacle politique à la révision des traités à l’unanimité.
Le même raisonnement peut être tenu concernant les coopérations renforcées (article I-44), les procédures de révision simplifiée, et les « clauses passerelles » (articles IV-444 et IV-445).
La coopération renforcée qui permet aux Etats qui le souhaitent d’avancer ensemble, dans certains domaines, plus loin que ne le fait l’Union (avec notamment le remplacement de la procédure de vote à l’unanimité par le vote à la majorité qualifiée), comporte effectivement un certain nombre d’obstacles juridiques à franchir pour être mises en application.
Mais la logique politique doit également être prise en considération.
Imagine-t-on demain un seul pays s’opposer à neuf Etats ayant formulé devant le Conseil européen le désir de mettre en œuvre des coopérations renforcées en matière de fiscalité ?
L’Union européenne se construit sur la base de négociations, de consensus, de rapports de force.
Il est incomplet de s’arrêter à la lettre des traités, passés, actuels et à venir, pour présager des politiques qui seront menées.
En ce sens, nous sommes en droit d’attendre une Europe sociale.
Rien ne l’interdit dans le traité pour une Constitution européenne.